La poussière du Sahara au service de la forêt amazonienne
Dernière mise à jour : 31 janv. 2022
La forêt amazonienne est un joyau de biodiversité. La vie y foisonne, du sol à la canopée, et se croisent continuellement fourmis, panthères, serpents et colibris. 10 000 km plus loin, de l’autre côté de l’océan Atlantique sur le continent africain, la dépression du Bodélé offre un paysage bien différent. Dans cette zone du sud du Sahara, le plus grand désert du monde, la vie se fait bien discrète. Il y fait très chaud et l’air y est sec et extrêmement poussiéreux, presque irrespirable. La raison : de fortes tempêtes soulèvent continuellement la poussière du sol. Mais alors que tout oppose ces deux paysages, des observations satellite ont mis en lumière une connexion insoupçonnée entre ces deux écosystèmes, une subtile relation qui, on le verra, est essentielle à l’incroyable diversité de vie qu’abrite la forêt tropicale.


En topographie, la discipline qui étudie le relief de notre planète, une dépression est une région de plus basse altitude que les régions voisines. Celle du Bodélé se trouve au Nord du Tchad, en Afrique. Il y a quelques milliers d’années encore, la région était humide avec de nombreux grands lacs, aujourd’hui complètement disparus (à l’exception du lac Tchad plus au Sud) laissant place à un sol sec et poussiéreux. La région présente une topographie particulière : les chaînes de montagnes de l’Ennedi au nord et du Tibesti au sud forment une vallée qui accélère les vents de basse altitude et soulève une importante quantité de poussière du sol, rendant la région l’une des plus poussiéreuse du monde. Les observations des satellites qui étudient la Terre montrent que, chaque année, des millions de tonnes de sable sont charriés depuis la dépression du Bodélé vers l’océan Atlantique. Les vents transportent cette poussière sur des milliers de kilomètres. Si la majorité de la poussière finie dans l’océan, plusieurs dizaines de milliers de tonnes atteignent chaque année la forêt amazonienne.
Ce curieux phénomène est essentiel au bon fonctionnement de la jungle amazonienne. Sans ces vents et cette poussière, l’Amazonie ne serait pas le réservoir de vie que l’on connaît aujourd’hui. Si l’on souhaite comprendre pourquoi, il va falloir nous pencher sur la composition de cette poussière, faire un peu de botanique et comprendre dans les grandes lignes comment fonctionne un écosystème comme celui de la forêt tropicale amazonienne.

Pour survivre et se développer, un organisme vivant, comme une plante, a besoin d’un ensemble de nutriments comme de l’eau ou de l’oxygène. Certains de ces nutriments, dits essentiels, ne peuvent pas être directement produits par la plante et doivent donc être prélevés du milieu dans lequel l’organisme se développe. La présence de ces nutriments dans l’environnement est donc déterminante pour la survie et la croissance des plantes. Dans pratiquement tous les écosystèmes, les plantes assurent une fonction primordiale : grâce à la photosynthèse elles convertissent l’énergie lumineuse du soleil en énergie chimique sous forme d’un sucre et assurent les apports et les échanges énergétiques entre tous les êtres vivants. Elles sont le premier maillon de toute (ou presque) chaîne alimentaire. Sans plante, pas d’animaux !
Nous savons donc maintenant que les écosystèmes ont besoin des végétaux pour fonctionner et que les plantes ont besoin d’éléments minéraux. Parmi ces nutriments essentiels, il y a le phosphore. L’atome de phosphore est effectivement présent dans beaucoup de protéines et joue un rôle essentiel dans la structure même de la molécule d’ADN. La poussière venue d’Afrique est riche en phosphore ce qui permet à la forêt amazonienne de prospérer.
Cela peut sembler contre-intuitif mais les sols des forêts tropicales sont très pauvres en nutriments. Les fortes pluies tropicales lessivent ces-derniers qui sont emportés par les rivières ou dans notre cas par le fleuve Amazone. On estime que ce phénomène priverait entièrement la forêt amazonienne de nutriments d’ici quelques siècles, rendant la région bien moins vivante si les apports de phosphore, venus d’Afrique, ne compensaient pas chaque année cette perte nutritive.

On comprend mieux alors pourquoi le phosphore africain est vital à l’ensemble de l’écosystème sud-américain. Du plus grand des arbres à la plus petite des fourmis, du plus exotique des champignons au plus majestueux des oiseaux, c'est l’ensemble de l’écosystème amazonien qui dépend de la poussière venue de la dépression du Bodélé. Cette poussière qui rend l’air irrespirable d’un côté de l’océan, fertilise le sol et rend la forêt luxuriante de l’autre côté. Le paysage de l’Amazonie serait bien différent sans la présence de cette région désertique au sol sec et poussiéreux et sans les vents favorables qui connectent les deux écosystèmes.
Il est émouvant de constater l’incroyable complexité qui dirige notre monde. Cette connexion insoupçonnée, mais non moins essentielle, entre un désert inanimé et une jungle tropicale mouvementée nous invite à reconsidérer notre regard sur la nature. Il semble judicieux de considérer la planète comme un ensemble d’écosystèmes en étroites relations, s’influençant entre eux pour former un tout: la biosphère.
Il est dès lors essentiel de mettre en lumière ces connexions cachées, afin de mieux comprendre le fonctionnement de notre planète et d’en assurer sa préservation.
Article écrit par Léo-Paul Charlet